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Afrikarabia a déjà évoqué les intentions du président Pierre Nkurunziza pour un coup d’Etat avalisant un troisième mandat – qui est prohibé par les accords d’Arusha d’août 2000 et par la Constitution du Burundi. Dans La Libre Belgique, notre consoeur Maria-France Cros vient de dévoiler le rôle de l’avocat Bernard Maingain dans la dénonciation documentée de la politique criminelle de l’oligarchie au pouvoir. Nous l’avons interrogé.
AFRIKARABIA : – Me Bernard Maingain, votre rôle dans la défense de la société civile burundaise étant désormais révélé, que pouvez-vous nous dire sur votre action et notamment sur la genèse de votre intervention dans ce dossier ?
Me Bernard MAINGAIN : – Le point de départ, c’est le fait que des représentants de la société civile burundaise m’ont contacté. Ils voulaient me mettre en rapport avec des agents haut placés des services de renseignement burundais affolés des plans secrets du pouvoir et décidés à les dénoncer. Il s’agit de collaborateurs directs du général Adolphe Nshimirimana – dont le rôle personnel semble crucial même si, officiellement, il n’est plus le directeur du Renseignement.
Ces personnes se rendaient compte que l’agenda du pouvoir pour imposer un troisième mandat du président Nkurunziza conduit le Burundi au précipice.
« J’ai transmis le procès-verbal au Conseil de sécurité »
AFRIKARABIA : – Lorsqu’on vous a parlé de ces lanceurs d’alerte, quelle a été votre réaction ?
Me Bernard MAINGAIN : – J’ai accepté d’aller à la rencontre d’un premiers témoin dont on me parlait.
AFRIKARABIA : – Vous l’avez rencontré au Burundi ?
Me Bernard MAINGAIN : – Je ne souhaite pas donner plus de précisions sur le lieu de la rencontre. J’ai eu un très long entretien avec cette personne. Elle m’a autorisé à enregistrer son témoignage. Elle a accepté que je fasse une copie de sa carte d’identité. Elle m’a aussi remis quelques photos, dont je reparlerai. J’ai fait un procès verbal de son témoignage. Cette personne fournissait des détails sur des actes très graves
AFRIKARABIA : – Cette rencontre avec le premier témoin s’est produite à quel moment ?
Me Bernard MAINGAIN : – Précisément le 10 avril.
AFRIKARABIA : – Qu’avez-vous fait ensuite ?
Me Bernard MAINGAIN : – J’ai transmis le procès-verbal au Conseil de sécurité. J’ai précisé que, selon mes informations, d’autres agents de l’Etat burundais étaient prêts à témoigner de l’agenda secret du régime, à condition qu’ils bénéficient d’une protection de la communauté internationale, c’est-à-dire qu’ils soient exfiltrés, bénéficient d’un lieu d’accueil et de moyens de subsistance à l’étranger.
« Une second témoin était effaré de ce qu’il avait appris »
Me Bernard MAINGAIN : – Au Conseil de sécurité, j’ai été en contact avec un haut fonctionnaire des Nations Unies qui m’a expliqué que mon PV était transmis au Secrétaire général, qu’il lui attribuait de l’importance, mais que l’ONU n’était pas en mesure d’offrir au témoin les garanties qu’il demandait, car les Nations unies ne pouvaient pas intervenir contre un Etat membre, sauf résolution particulière. Je m’en doutais un peu. J’en ai conclu qu’il fallait trouver ailleurs les moyens de protéger les témoins, sur une autre base, par exemple avec des ONG.
AFRIKARABIA : – Tout ceci a pris du temps ?
Me Bernard MAINGAIN : – Dans l’intervalle, j’avais été recontacté par mes clients au sein de la société civile burundaise qui insistaient sur l’urgence de protéger les témoins et de faite connaître leurs révélations, car ces témoins insistaient sur l’impératif de quitter le Burundi pour confirmer leurs accusations. Entretemps, un second témoin s’est fait connaître. Lui aussi était effaré de ce qu’il avait appris de l’agenda secret et promettait de me fournir un témoignage écrit.
J’ai alors contacté des organisations en Belgique. J’ai obtenu de ces organisations un petit budget permettant d’organiser l’exfiltration des témoins et leur accueil.
« C’est un peu comme pendant l’Occupation en Europe. Les tueurs du régime sont prêts à tout »
AFRIKARABIA : – L’exfiltration au eu lieu facilement ?
Me Bernard MAINGAIN : – Au contraire, ces témoins étaient très surveillés. Une des organisations avec lesquelles je travaillais a trouvé un pays et un centre d’accueil.. Des représentants de la société civile ont réussi à fournir de faux papiers. Vous devez comprendre que fuir le Burundi n’est pas facile. Je ne sais pas si vous savez dans quelles conditions le vice-président de la Cour suprême a réussi à quitté le Burundi… ? Lorsqu’il est arrivé à la frontière nord au volant de sa voiture, reconnu par un douanier, Sylvère Nimpagaritse a appuyé sur l’accélérateur et détruit la barrière, puis forcé de la même façon la barrière du Rwanda, où il a demandé l’asile politique. Lui aussi était étroitement surveillé et son exfiltration n’a pas été une affaire simple, avant l’épisode final. Pour mes témoins non plus ce ne fut pas facile.
AFRIKARABIA : – Dans quel pays d’accueil se trouvent-ils aujourd’hui ?
Me Bernard MAINGAIN : – Non, je ne peux pas vous le dire. Jamais… on a pris toutes sortes de précautions pour les délocaliser. Je pense qu’ils étaient déjà soupçonnés et en danger de mort. La situation au Burundi est particulièrement délétère. C’est un peu comme pendant l’Occupation en Europe. Les tueurs du régime sont prêts à tout.
« A l’intérieur de l’appareil d’Etat du Burundi, il y a une équipe de personnes qui travaillent dans le cadre d’activités criminelles. »
AFRIKARABIA : – Vous-même, craignez-vous un assassinat ?
Me Bernard MAINGAIN : – Moi, je m’en fiche. Ca n’est pas le problème. L’enjeu au Burundi est trop important pour reculer devant ce genre de menace. La capacité de faire fuir des agents importants du service de la documentation Nationale du Burundi avec de faux papiers traduit-elle aussi la décomposition du régime Nkurunziza ? N’attendez pas de moi des considérations sur la vie politique au Burundi. Je vous dirai seulement que le parti du président, le CNDD/FDD est un parti important qui mérite le respect. Il faut éviter les amalgames.
Je suis avocat. Ce qui concerne mon métier, c’est la question de la loi et de l’ordre, les infractions très graves contre le droit national burundais et contre le droit public international. Or je constate qu’à l’intérieur de l’appareil d’Etat du Burundi, il y a une équipe de personnes qui travaillent non pas au respect de la loi et au respect des droits de l’Homme, mais dans le cadre d’activités criminelles.
Je rappelle que dans tout système d’Etat de droit, ce genre de personnes doit être conduit devant la justice, devant des juges indépendants.
« Ces personnes ont travaillé au cœur même des activités criminelles qu’elles dénoncent »
Me Bernard MAINGAIN : – Mon combat, c’est d’amener à ce que des enquêteurs puissent vérifier les témoignages dont j’ai parlé et, s’ils sont confirmés et autant que possible croisés à d’autres sources et documents, conduire à ce que des personnes ayant participé à des actions criminelles soient poursuivies pour ces crimes.
Pour le reste, la politique n’entre pas dans mon champ de compétence. Rappelons que jusqu’à présent, toutes les personnes en cause bénéficient de la présomption d’innocence.
AFRIKARABIA : – Cette présomption d’innocence ne retire rien à la gravité des informations qui vous ont été fournies par des témoins aujourd’hui exfiltrés et protégés ?
Me Bernard MAINGAIN : – Effectivement. Ces personnes ont travaillé au cœur même des activités criminelles qu’elles dénoncent.
AFRIKARABIA : – Vous les qualifiez de « témoins ». Ne serait-il pas plus juste de parler de « repentis » ?
Me Bernard MAINGAIN : – Vous pouvez dire « témoins/repentis ». Je les qualifie de témoins. Ils apportent des témoignages, pas des propositions de transaction judiciaire ou policière.
AFRIKARABIA : – Pouvez-vous nous en dire plus sur leurs témoignages ?
(Me Maingain nous permet de lire rapidement ces témoignages sous condition de ne pas dévoiler d’éléments qui permettraient d’identifier les témoins. Ce qui nous relatons ci-dessous est donc un résumé de ces témoignages) :

Photo remise par le témoin « Carlos ». Elle représente un lot d’armes remises aux Imbonerakure © DR
Le premier témoin que nous appellerons « Carlos » a travaillé dans l’entourage le plus proche du président Nkurunziza ainsi que dans un service secret baptisé « Sécurité » au parti présidentiel CNDD/FDD. Il a été soupçonné de participation à la récente évasion de la prison centrale de Bujumbura du leader Hussein Radjabu.
Depuis 2007 (deux ans seulement après le début du premier mandat du président Nkurunziza), « Carlos » a participé à un trafic d’armes à destination de la ligue des jeunes du parti CNDD/FDD, les Imbonerakure [littéralement les « visionnaires », une terminologie transposée du prophétisme affiché par le président Nkurunziza,, pasteur qui passe une partie de son temps en prières, une autre partie sur les stades de football ].
« Carlos » décrit comment, une nuit de 2007 vers 3 heures du matin, il fait partie d’une équipe qui s’est rendue à l’aéroport de Bujumbura pour prendre livraison d’une cargaison d’armes contenues dans 140 caisses en provenance de Chine. Lui-même a personnellement transporté à la résidence du président Nkurunziza cinquante « boîtes » contenant chacune cinquante pistolets de fabrication chinoise avec des chargeurs de 15 cartouches. Il précise qu’il y avant aussi des pistolets mitrailleurs et des mitrailleuses [mitraillettes ? ].
En 2009, « Carlos » a participé à une réunion à la « Joy Guest House » à Ngozi (nord du Burundi) où il a été décidé que les armes seraient distribuées aux Imbonerakure dans la perspective des élections de 2010, où le président Nkurunziza entendait se présenter à un second mandat sans réelle concurrence. Le général Adolphe Nshimirimana était le coordinateur de la distribution avec un certain Kasungu [littéralement« le Blanc », sans doute un métis] – un nom d’emprunt – et un troisième homme.
Lorsque les partis d’opposition, soumis à un harcèlement constant, ont décidé de s’abstenir de participer au scrutin de 2010, les armes ont été reprises et stockées dans une maison isolée de Bujumbura, appelée « Intelligence Office House ». L’opération était clandestine et la police, soupçonnant un trafic, a tenté de perquisitionner la maison. Le général Adolphe Nshimirimana a dû intervenir en urgence pour stopper l’opération de police. A l’époque, la presse burundaise a relaté cet incident, sans toujours prendre conscience de l’enjeu.
En 2013, à l’approche de la fin de second mandat et dans la perspective jugée délicate d’une violation de la Constitution et des accords d’Arusha, un accord a été passé entre le Renseignement burundais et les FDLR, la rébellion du Kivu issue des anciennes Forces Armées Rwandaises (FAR), en fuite depuis le génocide des Tutsi du Rwanda. Au sein des FDLR on trouve de nombreux éléments de l’ancienne milice rwandaise Interahamwe, qui ont sympathisé avec la milice des jeunes du Burundi. L’objectif était d’envoyer en RDC des Imbonerakure pour qu’ils suivent une formation militaire assurée par des officiers des FDLR, à l’insu de la communauté internationale et des Forces armées du Burundi. Cette dernière, apolitique, a été tenue à l’écart du processus de radicalisation criminelle.
Le secret n’a pas duré. Lorsqu’ils ont dû quitter la RDC à la suite d’indiscrétions, les Imbonerakure ont bénéficié de la mise à disposition de terrains dans des endroits discrets, notamment derrière l’aéroport de Bujumbura et dans la plaine de la Ruzizi, limitrophe de la RDC. Une chaîne de commandement des Imbonerakure a été créée. Toutes ces manigances auraient été mises au point par le président Nkurunziza en personne, un certain Karera et Paul Ndimubandi, secrétaire général de la Ligue des jeunes du parti CNDD/FDD. « Kazungu » a été chargé de sortir les armes de l’arsenal secret et de les répartir entre miliciens. Une réunion a eu lieu à cet effet au siège du parti, réunissant les responsables provinciaux, les 18 chefs Imbonerakure provinciaux et 129 chefs locaux. « Carlos » dispose de photographies représentant ces distributions d’armes à des cadres de la Ligue des jeunes du parti présidentiel.
Il a été déclaré à cette occasion que les Imbonerakure devaient s’infiltrer dans les manifestations prévisibles des partis d’opposition pour fomenter des incidents afin de créer la zizanie entre opposants. Ils devaient aussi tirer sur les responsables de l’opposition à la tête des manifestations, et faire disparaître des opposants [toutes choses par ailleurs mises à l’œuvre ces derniers jours].
Pour appuyer les Imbonerakure dans leur dessein d’infiltration de l’opposition a été créée une Force spéciale de police, composée de dix-neuf personnes connues pour leur brutalité. Elles ont été installées dans l’ancienne maison du président Melchior Ndadaye (assassiné par des militaires tutsi en octobre 1993 dans le cadre d’un putsch raté qui a précipité le Burundi dans vingt ans de guerre civile).
Il a été précisé aux Imbonarekure qu’ils devaient profiter de l’agitation autour de l’action de la police à l’aide de camions à jet d’eau et de grenades lacrymogène pour passer à l’action. Il a été dit littéralement aux Imbonerakure : « Toute personne qui s’opposera au troisième mandat du président Nkurunziza devra en subir les conséquences ».
Même si les mots d’ordre étaient secrets, cette radicalisation a été perçue par de nombreux responsables du parti CNDD/FDD et a provoqué des tensions. Sans doute pour entraîner les plus hésitants, il a été décidé d’élargir la conflagration programmée aux pays voisins. Dans le cadre des relations établies avec la rébellion rwandaise des FDLR a été lancé le projet d’un attaque du Rwanda au nord est du Burundi par une alliance de Imbonerakure, FDLR et miliciens Maï Maï (alliés des FDLR en RDC). Le général Adolphe Nshimirimana aurait personnellement supervisé cet agenda. Une partie des armes achetées clandestinement par la présidence burundaise aurait été confiée aux FDLR pour les conserver discrètement et les redistribuer ensuite aux miliciens Imbonerakure.
Selon « Carlos », le général Adolphe Nshimirimana, le dénommé « Kazungu » et un certain Emile Ruda étaient à la tête de l’opération.
Ces personnages tiraient un certain nombre d’avantage de leurs allers et retours en RDC. En particulier le général Adolphe Nshimirimana avait créé une filière de trafic de minerai d’or vers le Burundi sous couvert d’actions caritatives menées par les religieuses italiennes du couvent de Kamenge, le quartier nord de Bujumbura. L’intermédiaire était un prêtre surnommé Buwenjero ( ?) du couvent de Kamenge. A la suite de désaccords dont on ignore encore la teneur, le général Adolphe Nshimirimana s’est senti trahi par le prêtre. Toujours selon « Carlos ». Buwenjero a été vraisemblablement empoisonné. Soupçonnant les trois religieuses italiennes de Kamenge d’être au courant des manigances, elles ont été assassinées en septembre 2013 dans des conditions atroces Voir AFRIKARABIA.
Le second témoignage entièrement rédigé par un autre ex-employé du Renseignement burundais, que nous appellerons « Bonito » reprend des informations de « Carlos » et y ajoute d’autres éléments. Il donne les noms et les circonstances des assassinats d’un certain nombre d’opposants au président Nkurunziza. Il confirme en les précisant les plans d’attaque du Rwanda pour détourner l’attention de la violence du régime au Burundi. Il fournit une copie des cartes d’identité des Imbonerakure infiltrés).
« J’ai demandé que soit lancée une enquête internationale »
Nous reprenons l’interview de Bernard Maingain
AFRIKARABIA : – Me Maingain, au vu de ces différents éléments, que proposez-vous ?
Me Bernard MAINGAIN : – J’ai demandé que soit lancée une enquête internationale, une enquête judiciaire, par des policiers du FBI et des policiers de différents pays d’Europe. Je demande que ces enquêtes s’accompagnent d’une solide protection des témoins, susceptible de provoquer de nouveaux témoignages. Pour ce programme de protection des témoins, je propose un accord entre la société civile burundaise et des bailleurs de fonds.
J’appelle à la mise en place de toute urgence de l’ensemble de ce dispositif. C’est une question d’heures si nous voulons éviter qu’une politique criminelle fasse basculer le Burundi dans l’horreur. Je préside bien qu’il faut un engagement solide, pas de pénultièmes déclarations de condamnation de la violence. Il faut des engagements précis du Conseil de sécurité, de la communauté internationale, du représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour la prévention du génocide, du représentant spécial aux droits de l’Homme. Je me tiens à leur entière disposition pour les aider, comme juriste et comme un homme qui connaît cette région depuis plus de vingt ans.
« J’ai été frappé de voir le désarroi et la souffrance la plus extrême des Burundais »
Me Bernard MAINGAIN : – Je ne suis moi-même qu’un auxiliaire de la justice et un lanceur d’alerte, mais je me devais de dire l’urgence d’une action réelle pour secourir le peuple burundais.
J’ai été frappé de voir le désarroi et la souffrance la plus extrême des Burundais. Désormais, ils craignent le pire. Face à cette dérive politique criminelle, nous sommes dans l’urgence absolue. Encore une fois, le temps n’est plus aux recommandations mais à l’action. La société burundaise ne peut être l’otage de la violence, de terrorisme, de la criminalisation de d’Etat, tel qu’il ressort des témoignages.
Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER