Fiche du document numéro 10014

Num
10014
Date
Vendredi 14 novembre 1997
Amj
Auteur
Fichier
Taille
0
Pages
0
Urlorg
Titre
Des Français ont-ils aidé à tuer Dulcie September ?
Sous titre
Chargé par la Commission réconciliation et vérité d'un rapport sur les exactions du régime d'apartheid hors des frontières d'Afrique du Sud, un institut néerlandais évoque une implication française. L'ANC demande une enquête.
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
LA mort, le 29 mars 1988, de Dulcie September, représentante de l'ANC en France, abattue sur le palier de son bureau parisien, rue des Petites-Ecuries, est-elle en passe d'être élucidée? Un rapport présenté par un groupe néerlandais, The Netherland Institute for South Africa, pour le compte de la Commission réconciliation et vérité pourrait en tout cas relancer l'enquête. On peut notamment y lire ceci: « Parce que le gouvernement sud-africain décrivait l'ANC comme une organisation communiste et terroriste et ses membres comme des communistes violents et criminels, les autorités de plusieurs pays d'Europe - comme le Royaume-Uni, la France et la Belgique - semblent avoir eu un comportement aveugle sur les opérations sud-africaines dans leur pays. Parfois, certains individus ou des groupes à l'intérieur de ces gouvernements défendaient l'apartheid en Afrique du Sud et son régime. Ils coopéraient activement. Des membres des services de police ou d'intelligence étaient basés dans plusieurs ambassades sud-africaines d'Europe où ils étaient autorisés à faire leur travail sans être gênés par les autorités locales (...). A Paris un officiel de haut rang du gouvernement français a tout fait pour harceler - à un niveau officiel - Dulcie September ».

A l'époque, les autorités sud-africaines avaient démenti toute implication dans cet assassinat, évoquant même des « dissensions » dans les rangs de l'ANC. En octobre 1996 pourtant, Dirk Coetzee, l'ancien chef de la Vlakplaas (unité secrète chargée des actions spéciales contre les militants anti-apartheid) révélait que ce corps de police était bien responsable de la mort de Dulcie September. La section A, dirigée par Craig Williamson depuis une ferme des environs de Pretoria, s'était chargée de la sale besogne.

Malgré ces révélations, l'enquête menée par les policiers français n'a jamais rien donné. Il semble même que certaines pistes n'aient pas été prises en compte. Quelques jours après la mort de Dulcie September, « l'Humanité » reproduisait des informations parues dans « la Lettre de l'océan Indien ». Cette publication affirmait que l'assassinat « était programmé depuis près de trois ans par les services sud-africains » chargés de former « des commandos dans les milieux de mercenaires » en collaboration « avec un conseiller technique du ministère français de l'Intérieur ». Plusieurs journaux avançaient le nom d'un ancien activiste de l'OAS, proche de Charles Pasqua et directeur du « Courrier austral parlementaire », revue financée par le gouvernement raciste de Pretoria.

L'affaire pourrait donc rebondir. Le Congrès national africain (ANC), parti de Nelson Mandela, a demandé mardi à la Commission réconciliation et vérité, présidée par l'archevêque Desmond Tutu, d'enquêter « en détail » sur le rôle éventuel d'agents des services secrets français dans l'assassinat de Dulcie September. L'ANC ajoute d'autre part: « Si ces allégations sont confirmées nous faisons confiance aux services secrets français pour explorer la moindre piste et s'assurer que les individus impliqués coopèrent pleinement avec la Commission ». Pour Peter Hermes, directeur de l'Institut néerlandais, « les services secrets français n'ont pas participé directement à l'assassinat de Dulcie September, mais ils étaient au courant de sa préparation ».

Commencée il y a un an, cette étude devait durer six mois. Mais il aura fallu plus de temps pour démêler l'enchevêtrement des pistes qui mènent aussi bien dans les pays dits de la ligne de front (Namibie, Angola, Mozambique, Zimbabwe) qu'en Europe de l'Ouest. Outre Dulcie September, les services secrets de l'apartheid sont, selon toute vraisemblance, également responsables du meurtre en 1986 d'Olaf Palme, ancien premier ministre suédois. Cette même année, les responsables de l'ANC à Londres étaient victimes d'une tentative d'enlèvement. En février 1987, Godfrey Motsepe, aujourd'hui haut fonctionnaire de la diplomatie sud-africaine et à l'époque réfugié en Belgique, était la cible d'un attentat. Quelques mois plus tard, toujours à Bruxelles, une bombe de 17 kilos était désamorcée in extremis dans la permanence du Congrès national africain.

Outre ses activités anti-apartheid, il semble que Dulcie September gênait fortement. Elle s'intéressait de près au commerce des armes entre Paris et Pretoria. Il est vrai que la France a toujours refusé de suivre les consignes de boycott du régime raciste. Plusieurs firmes, dont Total, avaient des intérêts en jeu. Se sentant menacée, Dulcie September avait demandé une protection au gouvernement français, protection qu'elle n'a jamais obtenue. Sa soeur, Stephanie Arense, qui vit en Afrique du Sud près de la ville du Cap, a indiqué à « l'Humanité » qu'elle souhaitait maintenant rencontrer le président Nelson Mandela à ce sujet.

La police française n'a jamais officiellement conclu son enquête sur le meurtre de Dulcie September. Il faut maintenant attendre le rapport final de la Commission réconciliation et vérité qui entend vérifier et recouper les résultats de l'étude de l'Institut néerlandais.



PIERRE BARBANCEY.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024